Congo-Présidentielle 2021 : les évêques montent au créneau

A quelques semaines de la présidentielle du 21 mars, la Conférence épiscopale du Congo revendique clairement son intérêt pour la chose politique.

Dans une déclaration en plusieurs points, intitulée : « Message des évêques du Congo sur les élections de mars 2021 » rendue publique, le 2 février, la Conférence épiscopale du Congo mène un plaidoyer fort imagé sur les conditions d’organisation de cette élection et sur la situation globale du pays. Pour ce qui est de la présidentielle, elle exige que soient remplis certains impératifs qui, aux yeux des évêques, seraient loin de l’être à deux mois du scrutin.

Les dix prélats signataires de la déclaration sont en poste à Brazzaville et à l’intérieur du pays. Ils ont motivé leur sortie par le « devoir qui incombe à l’église de scruter à tout moment les signes des temps ». Rappelant qu’au Congo les élections débouchent souvent sur des troubles sociopolitiques et sécuritaires, ils déclarent qu’à l’approche du rendez-vous électoral de mars beaucoup de Congolais « vivent déjà dans la peur et la hantise » des violences. A ce jour, néanmoins, aucun signe de fébrilité en lien avec cette élection n’est observé sur le territoire national au sein de la population.

Si la Conférence épiscopale du Congo salue en passant les avancées enregistrées dans le pays en matière de sécurité, de construction des infrastructures diverses (routes, universités), de lutte contre la pandémie de covid-19, elle ne semble pas cependant avoir digéré, s’agissant de ce dernier point, la mesure gouvernementale interdisant, les 25 décembre 2020 et 1er janvier 2021, les célébrations publiques et dans les églises des fêtes de la nativité et de la Saint-Sylvestre.

Les évêques ont embrayé sur ces « restrictions spectaculaires » pour élever le ton sur le processus électoral en cours. Ils prennent sur eux les dénonciations maniées par certains acteurs politiques sur « un fichier électoral non maitrisé, des institutions chargées des élections qui doivent faire la preuve de leur indépendance, un découpage électoral inéquitable ». Dans un autre registre, ils évoquent le sort de « prisonniers politiques ».

Et comme s’ils ne voulaient pas tout politiser, les prélats notent les défis urgents auxquels le Congo reste confronté. Ils énumèrent les besoins en eau, en électricité, santé, éducation et transport de la population, la situation des retraités, l’endettement du pays, l’impunité, la gestion des ressources pétrolières, l’environnement, le chômage des jeunes.

En un mot comme en plusieurs, il s’agit d’une déclaration qui pourrait faire réagir beaucoup, tant est-il vrai que dans le contexte présent le propos doit être mesuré pour éviter justement de tomber dans ce que redoutent les évêques catholiques eux-mêmes : voir l’élection présidentielle être retournée contre la paix et la tranquillité par un discours moins rassembleur de la part d’acteurs qui ont prise sur l’opinion.

La réponse musclée du ministre congolais de la communication contre les évêques

Pour le porte-parole du gouvernement, l’Eglise sort de son rôle en envoyant un message qu’il qualifie de « politique ».

C’est sur les antennes de RFI que Thierry Moungalla, ministre congolais de la communication a choisi de répondre à la déclaration des 11 évêques congolais. «Je ne sais pas en quoi l’adoption d’une nouvelle Constitution par le peuple le 25 octobre 2015 a un rapport avec la crise socio-économique que nous vivons. Je voudrais qu’on fasse le lien. Est-ce qu’avec l’ancienne Constitution, celle de 2002, on aurait pu enrayer la chute brutale des prix du baril de pétrole? Je m’interroge sur la cohérence des évêques à ce sujet.»

« Deuxièmement, je ne vois pas en quoi, l’organisation d’un dialogue politique alors que les institutions fonctionnent normalement, que le gouvernement est à la tâche, que le président de la République préside, je ne vois pas l’objet contenu et les finalités d’un éventuel dialogue qui serait organisé pour régler une situation qui n’est pas une situation d’ordre politique, mais une situation d’ordre socio-économique.»

Pour le porte parole du gouvernement, l’église catholique est hors sujet. « je considère que l’Eglise catholique, comme l’ensemble des cultes dans notre pays, devraient plutôt faire que ce mauvais moment, douloureux pour la population, puisse passer avec le moins de dégâts sociaux possibles. Et je crois qu’elle sort de son rôle quand elle décide de se substituer à l’opposition pour envoyer un message politicien à l’opinion nationale et internationale » A t-il martelé.

Thierry Moungalla a raté une sacrée occasion de la fermer

A propos de la réaction du ministre Thierry Moungala à la lettre des évêques du Congo : L’homme est trop fragile pour que nous l’affrontions !

Les Evêques du Congo-Brazzaville ont publié une lettre pastorale sur la crise sociopolitique et économique que vit actuellement le Congo. Dans cette adresse au peuple de Dieu ainsi qu’aux femmes et aux hommes de bonne volonté, les bergers de l’église catholique ont fait, entre autres, des propositions sur la sortie de la crise récurrente qui a lieu dans le département du Pool. Ils souhaitent que « le peuple ait le droit de savoir ce qui s’est passé : les causes et les conséquences, mais surtout les responsabilités des uns et des autres. Les morts et les destructions dans ce département appellent justice et réparation. Une réconciliation véritable n’est qu’à ce prix, pour permettre à notre pays de sortir de la crise multiforme ».

Sur la corruption, la concussion et la promotion de la bonne gouvernance, ils encouragent le Fonds monétaire internationale qui est en négociations avec le gouvernement du Congo et qui exige ces valeurs avant l’octroi du financement d’être ferme.
A propos des personnes jetées en prison à la suite des contentieux politiques, ils demandent purement et simplement leur libération.

Comme tous les Congolais, les évêques se posent des questions, eux aussi, sur les origines de la crise financière : « Comment comprendre, en effet, qu’après des années fastes de boom pétrolier, le Congo soit en récession économique ? Cette situation n’est-elle pas trop vite attribuée à la chute des prix du baril sur le marché international ? Comment s’expliquer notre manque actuel de ressources et notre endettement excessif après dix ans d’embellie au cours desquels le pays avait engrangé des richesses si énormes que même un fonds avait été créé pour les générations futures ? Comment comprendre par exemple qu’au moment où le gouvernement affirmait détenir un compte à Exim Bank de Chine pour le paiement de nos infrastructures que la dette vis-à-vis de la Chine soit aussi colossale : 40% du montant total de la dette ? » Pour résoudre cette crise multidimensionnelle, ils souhaitent la tenue d’un dialogue national.

L’ire de Thierry

Malheureusement, leur message provoque un violent emportement au ministre Thierry Moungala, le porte-parole du gouvernement. Il accuse les évêques d’avoir fait une injonction dans les affaires de l’Etat. Mais, ce n’est pas pour la première fois qu’il les traite ainsi. Thierry Moungala pense encore que le spirituel, c’est l’affaire des églises, et le temporel, celle de l’Etat.

Il y a lieu de lui rappeler que « le débat sur le spirituel et le temporel ou la séparation des pouvoirs entre l’Etat et les églises, sous d’autres cieux, est révolu depuis des siècles. Ils ne resurgit aujourd’hui que dans les régimes dictatoriaux et obscurantistes qui ont peur de la lumière des églises et de l’éveil des peuples. »

En tant que chrétien, nous n’acceptons pas le langage injurieux de Thierry Moungala à l’ endroit des Evêques, ce d’autant plus que son chef, Denis Sassou Nguesso, a déjà enterré vivant un cardinal (Emile Biayenda) et tué par empoisonnement trois Evêques (Mgr Georges Singha, Benoit Gassongo et Ernest Kombo).

Cependant, Thierry Moungala étant très fragile, nous ne voulons pas l’affronter directement. Nous lui demandons tout simplement de lire ces morceaux choisis de notre nouvelle « On se verra à Rome !  », publiée dans le recueil « L’Inforoman suivi de Quand la rue s’en mêle… » Fondation littéraire Fleur de Lys, Lévis, Québec, 2017, 300 pages. Dans laquelle nous avons réagi, en 2015, à ses outrages aux dignitaires religieux. Alors que ces derniers venaient de se prononcer sur le débat du changement ou non de la constitution.

L’Etat et les églises travaillent pour un même peuple

«  L’Etat et les églises ne travaillent ils pas pour un même peuple qui est le peuple de Dieu ? Certains dispensaires qui sont gérés par des religieux ne font ils pas mieux que les grands hôpitaux du gouvernement ? Il en est de même pour certaines écoles qui sont aussi gérées par les religieux et qui font mieux que les grandes écoles qui appartiennent à l’Etat. Alors pourquoi dans le domaine de la santé et de l’éducation qui concernent directement la vie des populations, les partisans du président Nzoko Monéné qui renvoient tout le temps les Evêques aller célébrer les messes, chaque fois qu’ils prennent position sur une crise, ne parlent ils pas d’injonction dans les affaires de l’Etat ? (…)
Mais, c’est seulement lorsque les pasteurs apprécient ou se prononcent sur une situation politique ou une crise qui a lieu dans le pays, notamment entre le pouvoir et l’opposition qu’on les envoie célébrer les messes. Surtout lorsque leur position va dans le même sens que celle de l’opposition.
 »

Le principe de la primauté du spirituel sur le temporel

« Aussi, faudra‐t‐il dire que le principe de la primauté du spirituel sur le temporel dont se servent les politiciens de la mouvance présidentielle de Kue Ngo pour malmener et vilipender dans la presse nationale et internationale les hommes d’églises ou leur interdire de participer aux débats politiques qui ont lieu dans leur pays ou encore de parler du pétrole, du bois, du fer et d’autres matières premières, ne permet pas, pourtant, de créer deux mondes diamétralement opposés : le spirituel et le temporel.
Le spirituel a besoin du temporel, et le temporel, du spirituel. Dans l’homme, il y a l’esprit et le corps. Ce principe ne doit servir que dans la hiérarchisation et non dans l’exclusion. Comme aussi, il ne doit pas servir pour limiter les champs d’action de l’Etat et de l’Eglise. C’est‐à‐dire croire que le spirituel, c’est l’affaire des églises, et le temporel, celle de l’Etat, est complètement faux !
L’Etat a le droit de contrôler la qualité de la nourriture spirituelle que servent les églises aux populations. Parce que ce sont ses citoyens.
Et, les églises ont aussi le droit de contrôler la qualité de tout ce que l’Etat fait consommer aux populations. Parce qu’elles font partie du peuple de Dieu.
En tant que pasteurs des églises, ils ont donc la mission de veiller sur le peuple de Dieu. C’est pourquoi les deux institutions sont condamnées à travailler ensemble et à se surveiller pour éviter que ni l’une ni l’autre ne développe un « terrorisme » c’est‐à‐dire devienne un lieu de la propagation des antivaleurs.
Et, aucune d’entre elles n’a le droit d’affaiblir l’autre. Leurs relations ne doivent pas être conflictuelles. Rien ne doit les pousser à être conflictuelles. Car, elles ne sont pas concurrentielles, mais plutôt complémentaires. C’est pourquoi, les églises ont, elles aussi, le droit de parler du pétrole, du bois, du fer, de l’or… dont regorgent leurs pays. Parce que c’est pour tous ceux qui y habitent c’est‐à‐dire le peuple de Dieu, et non simplement une poignée de gens ou un clan surtout encore si elle fait partie des populations issues de la colonisation, que Dieu les a mis dans les sous‐sols de ces pays.

Dieu n’a pas créé des peuples qui sont certains riches et d’autres pauvres

« Parce qu’il y a des peuples et des pays que Dieu a bénis à travers leurs ressources naturelles, et d’autres qui le sont à travers leurs ressources humaines. Dieu n’a pas installé son peuple là où il n’y a pas de richesses. Là où les terres sont pauvres il a mis le génie. Il suffit de le développer. Pour preuve, aujourd’hui le développement de la science et de la technologie montre suffisamment que l’on peut aussi bien vivre et construire des villes dans le désert ; que l’on peut rendre fertiles les terres qui ne le sont pas ; que l’on peut avoir l’eau, l’énergie dans le désert. Dieu n’a donc pas créé des peuples qui sont certains riches et d’autres pauvres. La pauvreté, elle peut venir de trois choses : la paresse qui est définie comme étant le comportement de quelqu’un qui répugne à l’effort, au travail et à l’activité ou qui a le goût pour l’oisiveté ; la carence affective ou le manque d’amour entre les hommes ; et l’égoïsme qui rapporte tout à soi.
Cependant, là où la misère devient extrême, apporter de l’agent, à manger, à boire, de quoi vêtir et soigner les populations ne suffit pas pour prouver l’amour ; mais il faut accompagner tout cela par la réponse donnée à la question « pourquoi cela est ainsi ? » C’est en effet la réponse donnée à cette question qui va éclore et servir de fumier au génie que Dieu a mis dans son peuple. 
 »

Monsieur le ministre, pourquoi le Congo est-il un pays pauvre ? Vous ne nous direz pas, sans doute, que c’est à cause de la chute du prix du baril de pétrole. C’est trop facile !

Congo : les évêques inquiets de la crise socio-politique et économique

C’est dans une déclaration rendue publique jeudi 10 mai, que ces prélats ont donné leur avis sur les « origines du mal » congolais.

Jeudi 10 mai, les évêques congolais à travers une déclaration, ont dévoilé leur inquiétude face à la crise socio-politique et économique qui touche la République du Congo depuis près de trois ans. Avant de donner leur avis, ces « hommes de Dieu », ont présenté la situation du pays et ce qu’ils considèrent comme « origines du mal » congolais. Pour eux, la révision de la Constitution en 2015, serait la cause principale de la crise. Ils relèvent n’avoir jamais caché tout le mal qu’ils pensaient de la Constitution actuelle.

Notons que la déclaration des évêques a été rendue publique le jour des plaidoiries dans le procès du général Mokoko.  Ce candidat malheureux à la présidentielle de 2016, est poursuivi notamment pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ». Ces responsables catholiques appellent clairement à la libération de tous les prisonniers politiques, tout en évoquant « l’exigence d’une justice équitable et indépendante ».

Autre sujet qui préoccupe les prélats congolais, la crise économique à laquelle est confronté ce pays pétrolier, Les onze évêques signataires de la déclaration fustigent la corruption qui gangrène le pays, avant d’en appeler à un sursaut national.

Ils sont revenus sur la crise dans le Pool. Selon eux, un accord de paix ne suffira pas à mettre fin définitivement aux crises successives qui ont secoué cette région depuis vingt ans. Une réconciliation véritable passe par la recherche de la vérité, la justice et les réparations.

Enfin, ils pensent qu’une solution véritable à tous les problèmes congolais passe nécessairement par l’organisation d’un dialogue politique qui devrait aboutir à « un modèle politique et institutionnel » consensuel.