Brazzaville : fermeture des dépôts pharmaceutiques illégaux

A travers une opération qui s’inscrit dans le cadre des actions de lutte contre la vente illicite des médicaments de la rue.

Les vendeurs des produits contrefaits des différents marchés de la ville capitale ont été surpris, le 9 juillet, dans les premières heures de la matinée, par l’opération menée par les services de la sécurité publique, en collaboration avec le ministère de la Santé publique.

L’opération s’inscrit dans le cadre des actions de lutte contre la vente illicite des médicaments de la rue, menées depuis des années par le ministère de la Santé et de la population, en partenariat avec l’Ordre des pharmaciens du Congo et le Syndicat national des pharmaciens du Congo.

Quelques vendeurs interrogés dans plusieurs sites où s’exerce l’activité ont indiqué que cette fois-ci, ils ont été surpris par l’opération dès 4 h du matin pour les uns et 5 h pour les autres. Les tables vides, les commerçants ont été plongés dans un grand désarroi.

Selon eux, aucun commerçant n’a eu la possibilité de sauver ses produits. Les services de la sécurité publique chargés de mener cette opération de destruction avaient déjà quadrillé les lieux. « Au moment où je vous parle, je ne sais quoi faire, parce que ma marchandise a une valeur de deux millions de FCFA. Je suis locataire, marié et père de deux enfants. Que deviendrais-je après tout ceci ? Je vois que l’Etat me renvoie chez mes parents avec cette charge ou dans la rue pour faire le banditisme », a indiqué l’un d’eux.

Une autre a ajouté: « Nous étions surpris hier par le mouvement des policiers autour de 4 h du matin. Nous avons tout perdu car la police passait dans chaque dépôt où elle a ramassé tous nos médicaments. La majorité d’entre nous ne dépend que de cette activité. Certains ont perdu la marchandise de six millions, d’autres de neuf millions de francs CFA ».

Ils ont, en outre, expliqué qu’après cette opération, certains d’entre eux se sont retrouvés à l’hôpital suite à des crises puisqu’ils ne vivaient que de ce commerce qui leur permettait de prendre en charge leur famille. « Nous ne vendons pas de faux médicaments, je suis prêt à me justifier partout parce que ce ne sont pas que des produits indiens ou nigérians mais aussi des produits français qui sont vendus dans les pharmacies. Parmi les vendeurs de ces médicaments, d’autres ont fait des études en pharmacie et en médecine », a déclaré un commerçant.

Pour les usagers de ces produits illicites vendus à ciel ouvert, l’opération menée n’inquiète pas seulement les vendeurs. Elle a des conséquences néfastes sur la vie de la population qui s’en procurait à bas prix.

Elle constitue également un manque à gagner pour certaines administrations, notamment la mairie, les Impôts et les services de commerce. Ils ont estimé que ces administrations seront pénalisées dans la collecte des recettes publiques. Du côté du ministère de la Santé et de la population, aucune autorité compétente n’a voulu donner des éclaircissements sur l’évolution de cette opération de police menée discrètement.

Lisungui Pharma localise les pharmacies de garde

Cette application congolaise est l’œuvre du jeune Rufin Ovoula Lepembe, conçu pour géolocaliser les pharmacies ouvertes.

À moins de 28 ans, le Congolais Rufin Ovoula Lepembe a conçu une application permettant de géolocaliser les pharmacies ouvertes près de chez soi et de recevoir des alertes pour suivre son traitement. À ces fonctions devraient bientôt s’ajouter des informations sur la disponibilité du médicament demandé dans les officines et un service de livraison.

Tout commence par un drame. Le père d’un ami de Rufin Ovoula Lepembe, résident de Pointe-Noire, fondateur de Lisungui Pharma, est souffrant. Un soir, il se trouve à court de traitement mais dans la capitale économique du Congo, en pleine nuit, impossible de savoir quelles sont les pharmacies de garde et parmi elles, celle qui dispose du médicament nécessaire pour le soigner rapidement. Le temps perdu pour trouver ces informations essentielles sera fatal au malade.

Cette histoire, loin d’être rare au Congo, mais aussi en Afrique, donne à Rufin Ovoula Lepembe, diplômé en licence de management d’entreprise de l’école de commerce et de gestion (DGC) de Pointe-Noire, l’idée de mettre au point une application mobile. Objectifs de l’outil : géolocaliser toutes les pharmacies dans un rayon de 10 km, savoir quelles sont les pharmacies de garde, connaître les prix des produits pharmaceutiques, ainsi qu’un système de notification des heures de prise du traitement.

Au Congo, il n’est pas rare de devoir parcourir des kilomètres pour trouver une pharmacie de garde ou un produit. De plus, la perception du public est que les remèdes vendus en pharmacie sont chers, poussant les populations modestes à se replier sur les vendeurs de rue, qui écoulent de faux médicaments.

« J’ai fait d’un vécu, une opportunité », témoigne le jeune entrepreneur. Fin 2015, il mobilise ses économies pour développer seul, sur fonds propres, un prototype de son application, Lisungui Pharma. Sa mise de départ, d’un montant de 2 millions de francs CFA (3 050 euros), ne lui permet pas d’avoir recours aux développeurs locaux qui lui demandent un montant trop conséquent pour mettre au point son prototype. Il a alors recours à des développeurs indiens.

Les concours comme outil de développement

« Il s’agissait surtout de savoir si mon idée pouvait se concrétiser dans une application. Bien sûr, du fait de sa conception low-cost, l’application comportait un certain nombre de bugs. Mais ce prototype a montré que le concept tenait la route, il ne restait plus qu’à améliorer la forme », explique Rufin Ovoula Lepembe.
Les coûts de développement élevés sous IOS (Apple), le contraignent à se contenter dans un premier temps du système Android. « Mais à terme, nous serons présents sur toutes les plateformes », précise-t-il.

Une fois les premiers fonds épuisés, l’obtention de financements additionnels devient rapidement un challenge pour la croissance de l’entreprise. « Je dois passer beaucoup de concours », indique Rufin Ovoula Lepembe. Les banques se montrent bien souvent frileuses au risque, exigeant de nombreuses garanties, et par ailleurs, les structures permettant d’opérer des levées de fonds ne sont pas légion, déplore-t-il.

Mais la voie des concours entrepreneuriaux sourit plutôt au startuper. Il gagne tout d’abord le 1er prix du concours d’entreprise de la fondation congolaise Perspectives d’avenir en février 2016. Cela lui permet de passer trois mois en immersion avec la société de conseil congolaise Aries Investissements afin de peaufiner son business plan et le plan d’action de sa structure. En outre, il reçoit une dotation de 5 millions de FCFA pour faire développer une application pleinement fonctionnelle, de louer des locaux où domicilier officiellement sa société.

J’ai voulu mettre au point un concept africain

En effet, si le droit Ohada autorise les entrepreneurs à domicilier leur entreprise à leur adresse personnelle, cette disposition n’avait pas encore été transcrite dans le droit du Congo-Brazzaville. L’obligation de louer des locaux professionnels, à l’origine d’importants frais fixes pour les jeunes pousses sera bientôt à ranger dans le passé. Le gouvernement congolais a en effet adopté lors de son dernier Conseil des ministres du 5 avril 2018 un projet de décret relatif, autorisant les dirigeants de société à domicilier leur entreprise à leur domicile.

1 000 utilisateurs atteints

Rufin Ovoula Lepembe enregistre officiellement le 11 novembre 2016 sa société, dont il est le PDG et l’unique actionnaire. Grâce aux récents efforts du Congo pour tenter d’améliorer le climat des affaires (le pays pointe à la 179e place du classement Doing Business de la Banque mondiale), l’inscription au Centre de formalités des entreprises (CFE) de Brazzaville est rapide. « En une journée, j’ai obtenu les papiers nécessaires pour exercer et deux semaines plus tard, j’ai reçu mon numéro d’identification unique », se souvient Rufin Ovoula Lepembe.

La fondation Brazzaville plaide pour l’éradication du fléau des faux médicaments

Par Jean-Yves Ollivier,  président de la fondation « Brazzaville pour la paix et la préservation de l’environnement »

Les faux médicaments tuent chaque année 800.000 personnes à travers le monde. L’Afrique est l’une des parties du monde les plus touchées : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 30 % à 60 % des remèdes en circulation sur ce continent, pourtant essentiels à la santé quotidienne (antipaludéens, antituberculeux), seraient faux. Souvent, ces comprimés ou sirops falsifiés ne contiennent pas de principes actifs, ou alors en quantité insuffisante. Pis, ils peuvent contenir de véritables poisons : peinture, poussière, antigel et arsenic.

Peut-on tolérer plus longtemps que la santé de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants soit sacrifié pour enrichir un marché minutieusement contrôlé par le crime organisé ? Car la fausse pharmacie se porte bien : évaluée à près de 200 milliards de dollars, elle constitue la deuxième source de revenus criminels dans le monde, devant le trafic de stupéfiants!

Extrêmement rentable, ce trafic est pourtant peu réprimé. Faute de législation spécifique aux faux médicaments, faute de poursuites coordonnées et de coopération internationale efficace, les auteurs sont généralement poursuivis pour de simples faits de contrefaçon. Et les peines prononcées sont minimes : entre quinze jours et quelques mois d’emprisonnement. Cette impunité est intolérable au vu de la menace pour la santé des personnes et la sécurité des États.

Aucun pays ne peut endiguer seul la menace. Saluons le courage et la ténacité d’États africains tels que le Rwanda, le Togo, la Guinée, qui, avec des moyens souvent limités comparés à ceux de l’adversaire, ont mis en place des politiques de santé publique et des opérations de démantèlement. Face à ce danger, l’Afrique est tout aussi concernée que la Chine, l’Inde ou l’Europe. Il y a tout juste quelques semaines, le président de la République du Congo, Denis ­Sassou-Nguesso, interpellait les chefs d’États du monde entier à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies pour répéter ce message : la lutte contre les faux médicaments doit devenir un enjeu international majeur.

La fondation Brazzaville, qui œuvre pour la paix et la conservation de la nature en Afrique, s’est engagée afin que l’accès aux soins reste un droit fondamental pour tous. Nous avons défini une feuille de route qui appelle à la collaboration de différents acteurs internationaux dans trois domaines prioritaires. Le premier est la redéfinition d’une politique pénale internationale envers les trafiquants, pour que la sentence soit proportionnelle au crime. Le deuxième est l’amélioration de la traçabilité des médicaments, ainsi que le démantèlement des réseaux de fabrication et de distribution. Cela demande l’implication de plusieurs acteurs tels que l’OMS et Interpol, mais aussi l’Organisation mondiale des douanes (OMD), l’industrie pharmaceutique… En 2013, 29 sociétés pharmaceutiques se sont alliées à Interpol et à l’OMS pour démanteler les réseaux de trafic. Cela a permis la mise en place d’opérations de saisies mondiales. En septembre dernier, ce sont ainsi 25 millions de médicaments falsifiés qui ont été interceptés dans 123 pays.

Enfin, parce que l’information et l’éducation jouent un rôle fondamental dans le combat contre les faux médicaments, il est primordial de mettre en place, à l’échelle internationale, des campagnes de sensibilisation à destination des populations, pour leur apprendre à détecter les produits contrefaits et les informer des risques liés aux circuits de distribution non officiels. Une alliance avec l’industrie est indispensable pour que les plus pauvres ne soient plus les premières cibles.

C’est un grand défi qui se présente à nous car l’attente renforce cette industrie criminelle. Face à ce péril, les institutions internationales ont les cartes en main pour arriver à une solution pérenne, et ainsi faire du droit à la santé une réalité pour tous.


  • Tribune initialement publiée sur lejdd.fr