Jean-Claude Gakosso : « La Turquie a une approche différente de celles des pays occidentaux »

Le ministre congolais des Affaires étrangères, de la Francophonie et des Congolais de l'étranger s’exprime à l’occasion du 3e Sommet…

Jean-Claude Gakosso, ministre congolais des Affaires étrangères, de la Francophonie et des Congolais de l'étranger. journaldebrazza.com

Le ministre congolais des Affaires étrangères, de la Francophonie et des Congolais de l’étranger s’exprime à l’occasion du 3e Sommet de Partenariat Turquie-Afrique qui s’est tenu du 16 au 18 décembre 2021.

 

Le ministre congolais des Affaires étrangères, de la Francophonie et des Congolais de l’étranger, Jean-Claude Gakosso, a fait part de ses pensées sur les relations des pays africains avec leurs partenaires non-continentaux ainsi que de la coopération inter-africaine aux échelles continentale et régionale.

La Turquie n’a pas été une nation colonisatrice en Afrique

Le chef de la diplomatie congolaise a, d’abord, souligné la nécessité du dialogue entre les pays, les peuples et les cultures, ainsi que de combattre les préjugés.

« Vous savez, le drame, souvent, ce sont les préjugés. En fait, la méconnaissance mutuelle, donc les préjugés font que souvent, il y a de l’incompréhension entre les nations, entre les peuples. La Turquie n’a, fort heureusement, pas été une nation colonisatrice en Afrique », a expliqué le ministre des Affaires étrangères du Congo.

« La Turquie est héritière d’une vieille et grande civilisation byzantine […], ottomane […] qui a rayonné jusqu’au milieu du XIXe siècle parce que les Turcs, les Ottomans sont restés, par exemple, à Jérusalem jusqu’au milieu du XIXe siècle (…) Cette histoire est vraiment fascinante. Souvent les gens ne parlent que l’émergence économique de la Turquie. Cette émergence repose sur un passé glorieux, une histoire riche, un patrimoine culturel immense », a-t-il noté.

Et d’ajouter : « Être ici à Istanbul, c’est vraiment un privilège. Je suis allé visiter les mosquées que tout le monde connaît, la Mosquée Bleue, la Mosquée Sainte-Sophie notamment mais également d’autres sites touristiques du pays tels que la station balnéaire d’Antalya qui est très belle. Et ce qui m’a frappé, c’est la similitude avec la civilisation grecque. Il s’agit de deux pays voisins, certes, mais qui ont finalement beaucoup de choses en commun ».

La vraie coopération se fait entre les peuples et les cultures

Interrogé sur la coopération entre les nations africaines et le reste du monde, le chef de la diplomatie congolaise a estimé que la coopération doit se focaliser sur l’aspect humain et culturel des relations.

« Quand nous parlons de coopération, la propension est de voir les aspects purement économiques, mais la vraie coopération c’est entre les peuples, l’interpénétration des peuples, le partage des richesses culturelles. Pour moi, c’est un bel exemple que la Turquie est en train de donner : s’ouvrir à l’Afrique. Parce que l’Afrique n’a pas eu beaucoup de chance. Malheureusement, depuis le XVe siècle, l’Afrique est un continent qui a été traumatisé par des brutalités liées à l’ignorance humaine ; des brutalité telles que l’esclavage, et puis, un peu plus tard, la colonisation. Tout cela est lié à l’ignorance humaine. Maintenant que tout le monde a compris que nous ne sommes qu’une [seule] race humaine, (…). Je crois que des leaders comme Erdogan méritent notre respect. Il a ouvert son pays à l’Afrique. Il donne la chance aux Africains de regarder de l’avant, de prendre le pari du développement à l’exemple de son pays [la Turquie] », a-t-il souligné.

« À titre personnel, je considère que l’essentiel, ce sont les relations humaines, le partage des valeurs culturelles. Il faut la dimension humaine. Les choses matérielles viennent ensuite. Pour l’instant [dans ce type de rencontres], l’accent est mis sur les questions économiques, les échanges commerciaux », a indiqué le chef de la diplomatie congolaise, mettant en avant le besoin de tisser des liens culturels entre l’Afrique et la Turquie, notamment à travers la jeunesse étudiante des deux pays qui a vécu en immersion en Turquie et en Afrique et qui a eu l’occasion de se familiariser avec la langue et la culture de son pays d’accueil.

Coopération renforcée entre le Congo et la Turquie

À la question du journaliste de l’Agence Anadolu sur les échanges et la coopération entre les deux pays, rappelant également la présence de représentations diplomatiques de la Turquie au Congo et du Congo en Turquie, le chef de la diplomatie congolaise a, d’abord, établi que son pays, malgré son poids démographique de moindre importance en comparaison à celui de la Turquie, constitue un acteur dynamique de l’économie de sa sous-région africaine.

Jean-Claude Gakosso a, ensuite, rappelé la coopération renforcée entre les acteurs économiques turcs et le Congo, le ministre citant l’exemple de la compagnie turque Summa qui a réalisé divers projets d’infrastructures sur le continent africain, notamment au Congo.

« La société [turque] Summa a bonne réputation en matière d’implantation d’infrastructures, d’habitations [également]. J’ai vu par exemple à Malabo, toute une cité qui est sortie de la forêt qu’on appelle la forêt de Sipopo [en banlieue de la capitale de la Guinée équatoriale, NDLR] ; et dans mon pays, la même société a construit tout le centre international de conférences, au bord du fleuve Congo, avec une vue imprenable sur la métropole de Kinshasa. Nous avons donc cette société qui est implantée au Congo, mais nous avons également la société Aksa Energy qui est une société turque également et qui travaille dans la production d’énergie à base de gaz naturel, dans la ville portuaire de Pointe-Noire , a-t-il expliqué.

« Nous avons un projet important de construction d’une cité gouvernementale avec la Turquie [1] », a rappelé le ministre avant de souligner l’importance pour son pays du projet énergétique entrepris avec Aksa Enerji « parce que c’est un projet intégrateur. Nous avons l’intention de vendre une partie de cette énergie à l’Angola voisin et à la République démocratique du Congo et d’établir une connexion avec le barrage d’Inga qui génère pas mal d’électricité dans la sous-région où nous sommes ».

Congo-RDC : un seul et même peuple

Suite à la remarque du journaliste de l’Agence Anadolu sur l’absence d’un pont reliant les capitales du Congo Brazzaville et du Congo Kinshasa, séparées par le fleuve du Congo, le chef de la diplomatie congolaise a qualifié cette situation d’« aberration ».

Faisant référence aux frontières des États africains issus de la colonisation européenne, Jean-Claude Gakosso a rappelé que « la plupart des frontières africaines sont artificielles ». En référence aux populations habitant sur les deux rives du fleuve, le ministre a souligné la proximité culturelle les unissant : « Parce qu’ici on parle de « deux peuples », mais il s’agit en réalité d’un seul et même peuple. Il n’y a quasiment pas de différence entre les gens qui vivent à Kinshasa ou à Brazzaville. On parle les mêmes langues, on se marie de la même façon. On mange de la même manière. C’est vraiment le même peuple qui trouve ses origines dans les anciens royaumes de Congo, de Loango…[On retrouve toutes ces ] choses communes, y compris du nord de l’Angola ».

« Il y a un projet qui a le mérite d’exister, qui est en phase ascendante puisqu’il est pris en charge par la Banque africaine de développement (BAD), celui d’un pont route-rail qui serait le prolongement du chemin de fer Congo-Océan qui part de Pointe-Noire pour Brazzaville et finalement une connexion à Kinshasa. Cela veut dire que la grande métropole de Kinshasa qui compte environ 12 millions d’habitants sera approvisionnée en partie par le chemin de fer Congo-Océan. C’est donc une aubaine pour la République du Congo », a indiqué le ministre.

« Nous nous battons pour que ce pont et d’autres ponts voient le jour. Qu’on en construise plusieurs. Il en faut plusieurs, mais commençons d’abord par celui-là, qui sera pris en charge par la BAD, par les gouvernements des deux pays, mais également par le NEPAD », a expliqué le chef de la diplomatie congolaise en référence à l’Agence de Développement de l’Union Africaine – Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (AUDA-NEPAD).

Il faut libérer l’Afrique des frontières héritées du colonialisme

« Ce sera un pas en avant, parce qu’il faut briser ces barrières, il faut libéraliser l’Afrique. Il faut que les échanges soient libres, que les populations soient libres de circuler d’un pays à un autre, qu’il y ait toutes les facilités possibles, mais pour cela, il faut la sécurité et la paix », a-t-il, par ailleurs, noté.

Dans cet esprit, le chef de la diplomatie congolaise a rappelé que son pays était parmi les premiers du continent à ratifier l’accord de création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC, ZLECA ou Zlecaf).

« L’Afrique doit se libérer d’elle-même, se libérer des frontières étriquées qu’elle avait héritées de la colonisation. Ces frontières qui avaient été tracées par d’autres, à la Conférence de Berlin en 1885, qui ne correspondent pas à grand-chose, mais c’est le passé, on l’assume », a relevé Jean-claude Gakosso, précisant : « Mais il faut créer des entités beaucoup plus vastes, beaucoup plus viables pour pouvoir peser dans le monde de demain, Vous constaterez que la plupart des pays puissants [du monde] sont des fédérations d’États », tout en citant les exemples des États-Unis, de la Russie, du Brésil et de l’Allemagne.

« Nous expliquons à nos compatriotes africains que l’avenir du continent, c’est de créer des entités fédérées. Nous avons commencé par créer des communautés économiques régionales », a affirmé le ministre citant les exemples de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union du Maghreb arabe (UMA), et de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC).

« Ces ensembles, de notre point de vue, devraient constituer des embryons d’États fédéraux », a estimé Jean-Claude Gakosso avant de poursuivre sa vision de l’avenir pour la région de l’Afrique centrale.

 

 

 

Pour une coopération renforcée en Afrique centrale

« Et en qui concerne notre région de l’Afrique centrale, on aurait la République Démocratique du Congo (RDC), la République du Congo, le Cameroun, l’Angola, la République centrafricaine (RCA), le Gabon, la Guinée équatoriale. Tous ces pays mis ensemble, constitueraient une vraie puissance », a estimé le ministre des Affaire étrangères du Congo.

Et de noter : « La RDC a les richesses que tout le monde connaît, l’Angola a la puissance que l’on connaît, nous et le Gabon avons un peu de pétrole, nous avons des bois précieux, nous avons du cuivre également, pas autant qu’en RDC, le Gabon a les mêmes choses, la République centrafricaine a les mêmes choses, elle a même de l’or. Donc tout cela mis ensemble, nous pensons que cela donnerait un État puissant et viable ».

Interrogé sur les obstacles à la libre circulation humaine et commerciale en Afrique centrale, le chef de la diplomatie congolaise a déploré « la vanité humaine », notamment des gouvernements réticents à ces évolutions pour diverses raisons, soulignant cependant que « le processus [d’interconnexion des pays d’Afrique centrale] me paraît inéluctable » et expliquant cela par le relais pris par la jeunesse de ces pays.

« Les nouvelles générations ont pris conscience qu’il faut absolument constituer de grands ensembles, sinon on n’a pas d’avenir. Les micro-États hérités de la colonisation n’ont pas grand avenir. Il faut se mettre ensemble pour peser demain sur le cours de l’histoire », a jugé Jean-Claude Gakosso.

Rôle positif de la Turquie en Libye et au Sahel

Interrogé sur la collaboration inter-africaine dans la lutte contre le terrorisme et la coopération dans le domaine de la sécurité, afin de stabiliser la région, le chef de la diplomatie congolaise a cité l’exemple de la guerre en Libye et de ses conséquences sur le Sahel et le reste de l’Afrique.

« Nous avons compris que ce qui s’est passé en Libye, la déstabilisation en Libye, a finalement un impact très préjudiciable à une bonne partie du continent. Les armes que ce pays avait amassé au temps de Mouammar Kadhafi, se sont disséminées sur l’ensemble du continent, déjà dans la zone du Sahel, et même au-delà. Des groupuscules de tous genres, se réclamant du « djihad » veulent porter le feu et le glaive partout », a-t-il noté.

Et d’affirmer : « Le terrorisme est arrivé en Côte d’Ivoire, loin pourtant de la Libye, au Bénin tout récemment, au Cameroun dans l’Afrique des grandes forêts : Boko Haram sévit au Nigeria et au Cameroun également (…) Nous nous organisons pour aider la Libye à se rétablir en tant qu’État parce que nous pensons que la source d’instabilité dans tous ces États, c’est la Libye. Et nous saluons la contribution qu’est celle de la Turquie dans ce dossier parce que sinon il y aurait peut-être eu un carnage à Tripoli il y a un an et demi ».

« On a pu constater que l’entrée de la Turquie dans ce dossier a équilibré les choses et essayé de créer une sorte de statu quo et donc « ni guerre ni paix « , En tous cas, il n’y a pas de guerre en ce moment en Libye, au-delà de petites escarmouches (…) Et donc, nous souhaitons que la Turquie continue à peser de tout son poids pour le retour de la paix dans ce pays, surtout que la Turquie a un passé dans ce pays. Il y a beaucoup de Libyens qui sont d’origine turque. Et donc la Turquie a un rôle à jouer », a déclaré le ministre évoquant également un rôle potentiel de la Russie aux côtés de la Turquie, en citant le renforcement des liens turco-russes, opéré au cours des années passées, surtout que la Turquie est devenue la destination touristique préférée des Russes.

« Donc, ce sont deux peuples qui s’aiment, qui sont voisins, et qui peuvent s’entendre pour le retour de la paix en Libye », a-t-il conclu sur la stabilisation des régions africaines souffrant d’instabilité.

L’approche de la Turquie en Afrique

Interrogé sur les enjeux potentiels de ce 3e Sommet de Partenariat Turquie-Afrique pour son pays, le chef de la diplomatie congolaise a, d’abord, rappelé les engagements pris par les États africains et la Turquie qui ont engagé cette coopération lors du Sommet Turquie Afrique en 2008 [2], alors que la même année l’Union Africaine (UA) reconnaissait la Turquie comme « Partenaire stratégique » de l’Afrique, ainsi que les engagements pris lors du deuxième Sommet Turquie-Afrique (en 2014 à Malabo).

« La Turquie a une approche différente des approches traditionnelles des pays occidentaux. Puis, c’est un pays qui est plus proche culturellement de l’Afrique, en tous cas pour nous, notamment à travers la religion aussi : c’est quelque chose que nous avons en partage. Beaucoup de pays africains sont musulmans, et ça compte aussi », a-t-noté.

« J’étais à Niamey [capitale du Niger], il n’y a pas longtemps. En arrivant à Niamey, vous êtes frappés par la beauté de l’aéroport construit par la société turque Summa. On ne change pas une équipe qui gagne, Je ne fais pas la publicité de cette compagnie, je ne suis pas au conseil d’administration de Summa. C’est un bel exemple de coopération. Il faut l’encourager », a estimé le chef de la diplomatie congolaise.

Interrogé sur les différences qu’il perçoit entre l’approche de la Turquie avec ses partenaires africains et celles des pays occidentaux, Jean-Claude Gakosso a cité l’exemple des prêts concessionnels faits par la Turquie, c’est-à-dire à des taux d’intérêts inférieurs aux taux en vigueur sur le marché.

« Toute la différence réside dans la philosophie, dans la philosophie même. Je ne vais pas faire le procès des nations occidentales, Vous connaissez le lourd passé en Afrique qui pèse sur leurs épaules, alors que la Turquie, c’est une autre approche qui n’a absolument rien à voir avec l’approche des Occidentaux », a déclaré le ministre des Affaires étrangères du Congo qui a également salué l’arrivée prochaine du vaccin turc contre le coronavirus, soulignant toutefois la nécessité pour les Africains de pouvoir produire eux-mêmes leurs vaccins et rappelant que « nous sommes une seule humanité » et que si les Africains ne guérissent pas de la Covid-19, à défaut d’être suffisamment vaccinés, l’Europe qui a une plus grande proportion de sa population à avoir été vaccinée, ne guérira pas, non plus.

Les musulmans au Congo

Interrogé par le journaliste de l’Agence Anadolu sur la population musulmane de son pays, le ministre des Affaires étrangères du Congo a retracé brièvement l’histoire de l’islam au Congo.

« Dans mon pays par exemple, les premiers musulmans sont arrivés à la fin du XIXe siècle. Il s’agit de gens qui accompagnaient Pierre Savorgnan de Brazza, un jeune explorateur français. C’était des Sénégalais », a-t-il expliqué.

« La population n’a pas arrêté de croître, Aujourd’hui je crois que les musulmans représentent près de 15 % de la population. Des mosquées sont érigées, un islam très modéré, principalement sunnite, et nous avons quelques Libanais chiites, mais pas nombreux. Ils viennent du Sud du Liban (…) Avant les musulmans étaient principalement des expatriés. Aujourd’hui ce sont principalement des Congolais qui ont toujours vécu là et qui ont choisi l’islam », a relevé le ministre citant le recul du catholicisme notamment du fait des révélations concernant la pédophilie dans l’Église catholique.

« Donc des gens ont tourné le dos à l’Église catholique et se sont orientés vers les Églises dites « de réveil », les Églises protestantes et d’autres vers l’islam. Et tout cela se fait en toute liberté : chacun est libre de choisir la religion qu’il veut », a conclu le chef de la diplomatie congolaise.