«Si M.Mokoko avait voulu faire un coup d’Etat, il l’aurait fait depuis longtemps»

Au Congo-Brazzaville, le procès de l’opposant Jean-Marie Michel Mokoko est imminent. Le ministre de la Communication, Thierry Moungalla, l’a annoncé sur RFI le 19 avril dernier. Aujourd’hui, les avocats du prisonnier préparent sa défense et l’un d’entre eux révèle que la France suit cette affaire de très près. Maître Norbert Tricaud, du barreau de Paris, raconte comment, un jour de mai 2016, les présidents Denis Sassou Nguesso et François Hollande ont envisagé l’exfiltration du général Mokoko.

Le général Mokoko est poursuivi pour atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat. Or au lendemain de la présidentielle de mars 2016 et de l’annonce de la réélection du président Sassou-Nguesso, il a appelé sur une radio la population à « se lever pour barrer la route à l’arbitraire ». N’est-ce pas en effet ce que le ministre Moungalla qualifie « d’appel public à l’insurrection » ?

Cela n’est pas du tout le cas. Le général Jean-Marie Michel Mokokoa fait un appel à la désobéissance civile. Et à la suite du hold-up électoral du général Denis Sassou-Nguesso, le général Jean-Marie Michel Mokoko avait demandé un recomptage des votes, sous contrôle de la communauté internationale. Et il avait appelé la population à la désobéissance civile et à l’organisation de journées ville morte. Le général Jean-Marie Michel Mokoko est un militaire républicain et pacifiste, c’est un homme de paix.

Mais quand on appelle la population à se lever, ne peut-on pas dire qu’on lance un appel à un soulèvement ?

Non, parce qu’il y a une charte des candidats de l’opposition qui a été signée. Donc le général Jean-Marie Michel Mokoko, monsieur André Okombi Salissa, madame Claudine Munari notamment, ont signé cette charte qui appelait clairement à la désobéissance civile et à l’organisation de journées ville morte, donc avec grèves, pour le rétablissement de la vérité des urnes. Ça, c’est un mouvement de désobéissance civile, ce n’est pas un appel à une insurrection armée. S’il avait voulu faire un coup d’Etat, il l’aurait fait depuis longtemps. Jamais le général Jean-Marie Michel Mokoko n’a dit : « Prenez les armes ».

Vous dites que le général Jean-Marie Michel Mokoko n’a jamais appelé à un coup d’Etat. Dans une vidéo tournée en 2007, dans le cabinet d’un avocat parisien, on voit le général Mokoko discuter des préparatifs d’un coup d’Etat contre le président Sassou-Nguesso. N’est-ce pas une atteinte caractéristique à la sécurité intérieure de l’Etat ?

Non. Le général Jean-Marie Michel Mokoko a parfaitement indiqué qu’il s’était fait piéger par des personnes qui se présentaient comme  agents de la DGSE. Et, de toute façon, le général Jean-Marie Michel Mokoko en a parlé avec le président Denis Sassou-Nguesso qui ensuite l’a nommé comme conseiller spécial.

Cela, c’est après 2007.

C’est après 2007, puisqu’il a occupé les fonctions de conseiller spécial de 2009 à 2014. Donc si vraiment les autorités de Brazzaville avaient considéré qu’il s’agissait d’une atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, il n’aurait pas fait l’objet de promotion et il aurait immédiatement fait l’objet de poursuites.

Le général Jean-Marie Michel Mokoko est également poursuivi pour détention illégale d’armes de guerre, ce qui laisse entendre qu’il y avait des armes à son domicile de Brazzaville lors de son arrestation en juin 2016 ?

Le gros avantage, c’est que le premier jour de la campagne électorale, le 4 mars 2016, le général Jean-Marie Michel Mokoko a été immédiatement interpellé par la DGST, la police politique du régime, et son domicile a été perquisitionné. Donc on n’a rien trouvé d’autre à son domicile que sa propre arme de service, d’officier général, et celles des quinze soldats de sa garde, détachée par le ministère de la Défense de la République du Congo, sur instruction du général président Denis Sassou-Nguesso. Donc depuis, l’accusation n’a pas été en mesure de démontrer qu’il détenait illégalement des armes de guerre. Et là, on va voir que, depuis le 16 juin 2016, la date où il a été inculpé et placé en détention provisoire, il n’y a eu que des vices de procédure. La première violation concerne la détention provisoire. A ce jour, le général Jean-Marie Michel Mokoko est en détention préventive illégale depuis 22 mois.

Entre la présidentielle du 20 mars 2016 et l’arrestation du 16 juin 2016, il se passe trois mois pendant lesquels le général Jean-Marie Michel Mokoko est coincé à son domicile. Mais il n’est pas encore en prison. Pourquoi ce flottement ? Est-ce que le régime congolais a tenté de l’amadouer ?

Le général Jean-Marie Michel Mokoko, à compter du 4 avril 2016 et jusqu’au 16 juin 2016, a été encerclé par la police à son domicile. Les seules personnes qui étaient autorisées à rentrer dans le domicile du général Jean-Marie Michel Mokoko, c’étaient des envoyés du régime du général Denis Sassou-Nguesso.

Qui par exemple ?

Il a reçu des hauts dignitaires du régime -je ne citerai pas leur nom parce que les accusations sont graves-, qui sont venus le menacer en disant : « Nous allons tuer ta mère si tu ne veux pas accepter de dire que le président Sassou-Nguesso a quand même gagné les élections du 20 mars ». Il a même reçu des visites de certaines personnalités françaises qui sont aussi venues lui faire le même type de pressions pitoyables. Et chaque fois, le général Jean-Marie Michel Mokoko a dit à ces personnes-là : « Il n’est pas question que j’accepte quelque chose qui est contraire à la vérité ».

Parmi les émissaires qu’il a reçus, vous avez cité ce mercredi 2 mai, en conférence de presse à Paris, l’homme d’affaires Jean-Yves Ollivier.

C’est exact puisque vous m’obligez à le citer, c’est parfaitement exact.

Quand le régime a vu qu’il n’arrivait pas à amadouer le général, a-t-il essayé de le convaincre de quitter le pays ?

Là, c’est parfaitement exact. Là aussi, il y a eu des pressions qui ont été faites sur le général pour dire : « Si vous voulez que votre famille reste en vie, le mieux c’est d’organiser votre exil et on peut négocier par exemple avec les autorités françaises pour que vous puissiez quitter le pays avec des membres de votre famille ».

Là, nous sommes toujours en avril 2016 ?

Là, nous sommes au mois de mai 2016. Et là, je peux en témoigner parce que j’ai eu des entretiens avec des hauts représentants de la diplomatie française et, à un moment donné, les autorités françaises ont envisagé la possibilité que le médecin de l’ambassade de France à Brazzaville puisse, dans la voiture diplomatique de l’ambassadeur,  venir chercher le général Jean-Marie Michel Mokoko à son domicile, et l’exfiltrer pour des raisons sanitaires. Et ça, avec l’accord du régime Sassou-Nguesso.

Donc une sorte d’exfiltration ?

Une sorte d’exfiltration. J’ai eu de longs entretiens téléphoniques avec mon client le général Jean-Marie Michel Mokoko à ce moment-là et il m’a dit : « Maître, il n’est pas question que j’accepte ça ; je ne peux pas quitter mon pays pendant qu’on continue de bombarder dans le Pool, pendant qu’on emprisonne à tout-va ; et je serai comme Nelson Mandela et je sortirai de prison pour faciliter l’alternance démocratique et de vraies élections libres ».

A votre conférence de presse de ce mercredi à Paris, vous avez précisé que vous avez eu des échanges lors de ce mois de mai 2016 avec le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault…

C’est exact. Effectivement, Jean-Marc Ayrault s’inquiétait à juste titre pour la santé et la sécurité du général Jean-Marie Michel Mokoko, parce qu’il savait qu’il n’avait pas accès à ses médicaments qu’il doit prendre régulièrement pour lutter contre l’hypertension. Et il a eu une démarche humaniste. On a eu d’excellents échanges à ce sujet.

Des échanges directs ? Il vous a reçu dans son bureau ?

Non. Il ne m’a pas reçu dans son bureau. Par contre…

Au téléphone ?

Voilà, par téléphone. J’avais son téléphone mobile, par SMS, par mail. Mais tout cela, ça reste couvert par la confidentialité, je n’entrerai pas dans le détail. Je dirais que le général Jean-Marie Michel Mokoko lui était reconnaissant, mais pensait qu’il sous-estimait l’ampleur des bombardements dans la région du Pool où sévissent des mercenaires,  etc. Et c’est pour cela que le général Jean-Marie Michel Mokoko a refusé toute proposition d’exfiltration.

La prison plutôt que l’exil…

Exactement.

Voilà donc près de deux ans que votre client est en détention préventive, alors que le délai maximum de la préventive est de six mois. Mais le ministre de la Communication et des médias, Thierry Moungalla, vous interpelle en disant : « Plus on conteste une procédure et une instruction, plus celle-ci ralentit »…

Alors, ce n’est pas du tout le cas, puisque la procédure d’instruction a tout le temps été instruite, uniquement à charge, et pas à décharge. Donc ce n’est pas la défense, dont les droits ont été constamment violés, qui a retardé la procédure. La procédure a traîné parce qu’elle est lente et que souvent on ne savait pas quelle question poser au général Jean-Marie Michel Mokoko, tellement le dossier est creux et vide. Et d’ailleurs, le régime a consulté d’autres confrères avocats parisiens qui sont venus sur place constater que le dossier était vide et qui ont préféré ne pas défendre les intérêts de l’Etat congolais.

Vous faites allusion à Eric Dupond-Moretti…

Voilà. C’est lui, je ne voulais pas le citer. Mais effectivement, lui aussi s’est déplacé. D’ailleurs, je lui en suis très reconnaissant. C’est une marque d’intégrité de sa part d’avoir refusé de se prêter à une mascarade judiciaire alors qu’il n’y a aucune charge et aucune preuve dans le dossier.

Depuis quelques jours, vous multipliez les saisines des instances internationales, comme le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire et la Commission africaine des droits de l’homme. Est-ce à dire que vous n’avez aucune confiance dans le procès qui doit s’ouvrir très prochainement à Brazzaville ?

C’est parfaitement exact. Et nous suivons les instructions de notre client, le général Jean-Marie Michel Mokoko. Chaque fois que mes confrères de Brazzaville viennent lui rendre visite dans sa prison, il leur donne des instructions très précises : « Ce que je vous demande, c’est de m’aider à saisir l’opinion publique nationale congolaise et l’opinion publique internationale ».

Ces instances internationales que vous saisissez, elles n’ont pas le droit de rendre des décisions impératives. Alors, pourquoi les saisir ?

Cela fait partie de la pression internationale, nous suivons les instructions de notre client qui nous a dit : « Le régime s’est lui-même isolé de la population congolaise ; il s’est lui-même progressivement isolé de la communauté internationale en truquant les comptes nationaux ; donc le régime est en train d’organiser l’asphyxie de tout un pays et de se décrédibiliser vis-à-vis de la communauté internationale et des bailleurs de fonds internationaux ». Le général Jean-Marie Michel Mokoko nous demande également de faciliter un isolement diplomatique.

Y a-t-il eu ces dernières années, dans d’autres pays africains, des décisions du groupe de travail de l’ONU qui ont été suivies d’effet, directement ou indirectement ?

C’est parfaitement le cas au Sénégal pour l’affaire Karim Wade, parce que si, effectivement il n’y avait pas eu cette recommandation, même si elle n’a pas été suivie immédiatement d’effet, on n’aurait pas abouti à la victoire judiciaire que vous connaissez. Donc cela a facilité.

Karim Wade a été condamné, mais gracié…

Voilà, il a été condamné, mais gracié, ce qui est quand même on va dire une semi-victoire si vous voulez.

Le général Jean-Marie Michel Mokoko vient d’annoncer que, lors de son procès à venir à Brazzaville, il exercera son droit au silence. Est-ce à dire que vous, les avocats, vous allez boycotter ce procès ?

Là, la décision n’a pas encore été prise. Mais comme nous n’avons même pas la certitude que le procès peut se tenir en public, comme nous n’avons même pas la certitude qu’on nous réserve un temps de parole équitable à la défense, et que tout cela est une parodie, il n’est pas exclu qu’on suive le premier sentiment de notre client qui est peut-être de boycotter le procès.

Du temps du président François Hollande, vous aviez un soutien discret de la France. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Nous avons quand même noté avec satisfaction, il y a à peu près trois semaines, que le porte-parole du gouvernement, monsieur Benjamin Griveaux, s’est posé sur un réseau social la question de savoir qu’il était un peu difficile pour le gouvernement français d’envisager de maintenir des relations durables avec le gouvernement de la République du Congo-Brazzaville qui emprisonne systématiquement ses opposants. Donc nous pensons qu’il a posé une très bonne question. En tout cas, la seule chose que j’ai remarquée, c’est que monsieur Thierry Moungalla, que vous évoquiez précédemment, le porte-parole de l’actuel régime de Brazzaville, lui, a demandé des explications qu’il n’a jamais obtenues.