Congo : des compagnies minières réclament des milliards de dollars de dédommagement

Le 13 mars, le Congo-Brazzaville a attribué au Chinois Sangha Mining Development l’exploitation de trois gisements de fer dans le nord du pays. Ces permis miniers avaient d’abord été octroyés à trois sociétés liées à des intérêts australiens avant que le gouvernement congolais ne les reprenne en novembre, provoquant la colère des miniers. Ces derniers menacent le Congo de poursuites et réclament des milliards de dollars de dédommagement. L’affaire pourrait conduire Brazzaville devant un tribunal d’arbitrage londonien.

À première vue, la photo prise le samedi 13 mars dans les locaux du ministère des Finances et du Budget à Brazzaville est plutôt belle. On voit les ministres des Mines et de la Géologie, Pierre Oba, celui du Budget, Calixte Ngagongo, et la ministre du Plan, Ingrid Olga Ebouka-Babackas ratifier avec Manuel André, le représentant de la société Sangha Mining Development, des conventions attribuant à cette société – et pour vingt-cinq années – les permis d’exploitation de trois gisements de fer de Badondo, Avima et Nabemba.

La photo est belle et les discours sont enthousiastes. Sangha Mining Development, qui récupère un potentiel d’un milliard de tonnes de minerai de fer à haute teneur, promet dix milliards de dollars d’investissements et la construction d’une voie ferrée jusqu’à Pointe-Indienne, dans la région de Pointe-Noire, où sera installé un port minéralier. Le ministre Pierre Oba voit déjà le Congo occuper « le troisième rang mondial des producteurs de fer de qualité », selon des propos rapportés par le site en ligne du ministère des Finances et du Budget.

Si le contrat de mariage est signé, l’un des époux n’a pourtant pas encore totalement réglé ses divorces précédents. En effet, les permis d’exploitation octroyés à Sangha Mining Development ont été repris officiellement en novembre dernier à deux sociétés minières, Congo Iron et Avima Fer, pour « insuffisance d’exploitation (…) et non-paiement des redevances prescrites par la loi », selon les motifs signifiés par le Journal officiel congolais en date du 30 novembre 2020. Ces deux sociétés contestent ces griefs et ont annoncé leur intention de porter l’affaire en justice. Une autre société, Equatorial Resources, s’est vu retirer un simple permis d’exploration, rétrocédé lui aussi au nouveau partenaire chinois. Dans son cas, l’État lui reprochait d’avoir cédé une partie du permis à un tiers.

Brazzaville bientôt poursuivi ?

Parmi ces sociétés, Congo Iron SA, propriété de l’Australienne Sundance Resources, a bien l’intention de poursuivre l’État congolais devant la Cour d’arbitrage internationale de Londres, une juridiction commerciale. Congo Iron, dont le permis d’exploitation concerne l’énorme gisement de fer du mont Nabemba, aux réserves prouvées de 517 millions de tonnes, dit avoir investi 400 millions de dollars dans le développement de la phase une du projet. Un calcul basé sur les bénéfices potentiels du gisement permet à l’entreprise d’estimer à 8,76 milliards de dollars les pertes entrainées par l’annulation de son permis, soit une somme équivalente à 60% du PIB congolais.

Congo Iron se sent d’autant plus fondée à recourir aux tribunaux d’arbitrage internationaux qu’elle dit avoir respecté les termes de son contrat, contrairement aux affirmations de la partie congolaise. « Si l’État congolais nous reproche une certaine lenteur dans la mise en route du gisement, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même », précise Aimé Emmanuel Yoka, le directeur général de Congo Iron, qui souligne que Brazzaville n’a pas rempli sa part du contrat, ne parvenant notamment pas à assurer un approvisionnement en électricité du site. Par ailleurs, « le gouvernement n’a pas validé notre étude d’impact environnementale et sociale, pourtant réalisée selon les normes internationales. Or, sans cette étude, il est impossible de lever des fonds auprès des investisseurs internationaux. » Et donc de commencer l’exploitation.

« Aujourd’hui, l’État congolais fait semblant de ne pas se souvenir de toutes ces clauses suspensives pourtant inscrites noir sur blanc dans la convention minière », regrette Aimé Emmanuel Yoka. Quant aux accusations de taxes impayées, avancée par le gouvernement, « elle sont fausses », selon le directeur général. « Nous avons payé la redevance superficiaire », assure Congo Iron qui dit cependant avoir refusé certains paiements de taxes sur des comptes non-officiels du ministère des Mines « car la loi interdit les paiements de taxes non-effectués directement au Trésor public ».

Si l’Australien Sundance Resources conteste donc la décision sur le fond, il déplore aussi la méthode employée par Brazzaville pour l’évincer qui, selon lui, « ne respecte pas la loi ». Congo Iron dit avoir été informé seulement le 13 novembre 2020 d’une mise en demeure signée par le ministre des Mines en juillet de la même année qui lui donnait un mois pour débuter l’exploitation. Congo Iron a donc reçu une mise en demeure expirée et, le 30 novembre, le permis lui était définitivement enlevé. Les dirigeants de Sundance Resources, qui ont par ailleurs respecté le délai de conciliation de soixante jours, allant même jusqu’à le prolonger d’un mois, ne se font plus d’illusions sur une possible entente avec Brazzaville. « C’est l’arbitrage international qui tranchera », estime le directeur général. L’affaire est entre les mains des avocats.

De son côté, l’Australien Socrates Vasiliades envisage de poursuivre l’État congolais, à qui il réclame 27 milliards de dollars de dédommagement, soit l’équivalent de deux années du PIB du pays. Le patron d’Avima Iron Ore, dont la filiale locale Avima Fer a perdu son permis d’exploitation pour le gisement du mont Avima, soupçonne en outre certains responsables politiques – qu’il ne nomme pas – de corruption. Selon un communiqué de presse de la société, « le retrait du permis semble avoir été effectué dans le seul intérêt personnel de certains dirigeants congolais et de tiers complices ». Il n’exclut pas, dès lors, de poursuivre certains membres du gouvernement congolais. L’Australien se dit d’autant plus dépité qu’il assure que « l’exploitation du gisement allait débuter au premier trimestre de cette année. »

Un nouveau partenaire chinois inconnu dans le milieu des mines

Pour l’heure, Brazzaville ne semble pas préoccupé par ces menaces de poursuites et ces demandes de dédommagement. « Les miniers australiens n’ont rien fait pendant dix ans », affirme un officiel congolais proche du ministre des Mines et qui souhaite conserver l’anonymat, « il est normal qu’au bout d’un moment, nous voulions des résultats. » Le fait que depuis quelques mois, le cours du fer flambe sur le marché mondial après des années de léthargie, n’est sans doute pas étranger à cet intérêt que suscitent les gisements du nord du Congo. « Le moment est opportun », relève un connaisseur du marché, « et la volonté de regrouper les trois permis miniers du nord du pays est en soi une idée intéressante », ajoute-t-il. Par ailleurs, la volonté de voir le minerai évacué vers le sud, dans la région de Pointe-Noire, plutôt que de sortir par le Cameroun, comme l’envisageaient Congo Iron et Avima Fer, « est peut-être une aberration économique, mais c’est un choix politique. » Reste que la méthode d’éviction des miniers australiens pose question. « Les milieux d’affaires s’inquiètent d’autant plus que Congo Iron et Sundance Resources avaient bonne réputation et faisaient un travail plus que correct », analyse un observateur du secteur minier.

Ce qui alimente surtout les conversations entre les acteurs du secteur, c’est le choix du nouveau partenaire chinois de Brazzaville. En effet, Sangha Mining Development est une parfaite inconnue dans le secteur minier. Dirigée par un ancien banquier de nationalité française, Manuel André, la société immatriculée en octobre 2020 au registre du commerce et du crédit mobilier de Pointe-Noire, que RFI a consulté, a pour unique associé une société hongkongaise, Bestway Finances limited. Une structure dont on ne connait pas les actionnaires et qui semble de création récente. Dès lors, « se pose la question de la capacité réelle de Sangha Mining Development à mener à bien un projet minier d’une telle ampleur », commente un spécialiste.

Brazzaville doit faire preuve de plus de transparence, relève le fondateur du collectif anticorruption Sassoufit, Andrea Ngombet, qui déclare : « Sans préjuger de l’expertise de cette société, jusqu’à ce jour inconnue dans le domaine minier, nous demandons la transparence complète sur le contrat et sur la composition du capital de cette société. » Même son de cloche pour le coordonnateur-adjoint de l’ONG « Publiez ce que vous payez », Brice Makosso, qui juge « important pour la République du Congo de divulguer les informations relatives aux octrois de licences, de contrats, mais aussi les critères techniques et financiers, ainsi que les propriétaires réels » des projets miniers.